Moi qui m'attendais à me retrouver dans une sorte d'abri anti-atomique, je tombe des nues. Les murs sont certes en béton armé, et certainement renforcé d'un alliage anti-vampire, j'ai envie de rire rien que d'y penser, mais je mets les pieds dans ce qui ressemble carrément à un appartement. A en juger par les différentes portes, il y a au moins quatre pièces. Je hausse les sourcils. Tout cet équipement a dû coûter une véritable fortune.
- Mon goût pour la déco t'amuse ?
Je sursaute. Il a décidément le don de me mettre mal à l'aise.
- Pas vraiment. Pour être honnête, je m'attendais plutôt à un trou à rats avec un ou deux cercueils...
Il rit, je me détends.
- Tu n'en trouveras pas ici. Certains d'entre nous apprécient d'être enfermés dans une boîte. Ce n'est pas mon cas.
Je regarde autour de moi. La pièce principale fait office de salon, salle à manger et cuisine.
- Il y a deux chambres et une salle de bain, fait-il.
- Tu te douches ?
- Techniquement, je n'en ai pas besoin. Mais j'apprécie tout ce qui me rattache à mon ancienne vie. Et puis, cet abri est équipé pour recevoir des humains, alors j'ai veillé à ce qu'il soit fonctionnel.
J'acquiesce en silence. Il reçoit des " humains ". Le terme me gêne. J'ai l'impression d'être une pauvre petite humaine dans un film d'extraterrestres... et puis, que fait-il avec eux ici ? Il les mord ? Les tue peut-être ? Ou alors, il a quelques amis bien placés dans la communauté ? Ce qui expliquerait cet endroit et tout cet équipement high tech.
Mon regard s'attarde sur les lieux. Le mobilier est étonnamment moderne, noir et blanc, classe, il y a même quelques plantes grasses en pot déposées ça et là. En fait, je suis impressionnée. Après plus de cent ans d'existence, je ne m'attendais pas à ce qui Dimitri ait un goût aussi sûr et sophistiqué.
- Tu veux manger quelque chose ?
Je le regarde en haussant à nouveau les sourcils.
- J'ai quelques plats surgelés qui devraient te plaire.
Je hoche la tête et rougis. Oui, j'ai faim. Il se dirige vers son congélateur.
- Tu as une préférence ? me dit-il machinalement.
- Non, fais au plus simple, je ne suis pas difficile.
- Très bien. Poêlée campagnarde ?
- Parfait !
Je suis un peu perdue. Cette situation, ma présence ici... C'est surréaliste. Il y a un quart d'heure, nous filions sur les chapeaux de roues dans son bolide hors de prix et maintenant il me fait tranquillement à manger dans un abri anti-atomique. Il a la confiance celui là... on ne l'a certainement jamais sorti de chez lui par la peau des fesses. En même temps, comment pourrait-on l'extirper d'ici ? Il y a certainement un système de sécurité dans le couloir d'accès.
- Tu ne l'as pas vu mais il y a une rampe de lampes à uv devant la porte blindée. Si un vampire arrive jusqu'ici je peux le griller instantanément rien qu'en appuyant sur un bouton.
- Arrête...
Il me fixe avec un sourire, une poêle à la main.
- Je suis sérieux. Pourquoi crois-tu que je sois aussi détendu ? Si Damien rapplique ici, il est mort. Pour de bon, ajoute-t-il.
Qu'est-ce qu'on disait ? C'est une blague ? Complètement surréaliste. Je réfléchis.
- Il suffirait juste que je reste ici alors.
- Toute ta vie ?
Ah...
- Dans cet endroit, nous sommes complètement coupés de l'extérieur Sandie. Pas de téléphone, pas internet.
Je note qu'il n'y a pas de télévision.
- Mais je pourrais sortir la journée non ?
- Oui, c'est sûr. Mais tel que je connais Damien, il n'hésiterait pas à engager un des humains à sa solde pour se débarrasser de toi.
- Mais pourquoi ? Pourquoi aller si loin ? Je n'ai rien à voir dans vos histoires !
- Techniquement non. Mais il s'est juré d'exterminer ta famille jusqu'au dernier. C'est déjà un miracle qu'il ne t'ait pas retrouvée plus tôt.
Une délicieuse odeur de pommes de terre monte du coin cuisine.
- Je vais avoir besoin de quelques jours pour te créer une nouvelle identité. Ensuite, tu devras partir.
- Tu ne penses pas que c'est à moi de décider ?
Il ne répond pas et campe sur ses positions. Je me retiens de lui dire que je ne me sentirai en sécurité qu'ici après ce qui est arrivé, mais je sais que ce serait inutile. Monsieur est têtu.
Mon repas se passe dans le silence. Ce n'est pas de la grande cuisine mais cela me fait un bien fou. Ma blessure à la tête recommence à me faire mal et j'ai peur que la plaie se soit rouverte. Je vais devoir changer mon pansement, mais j'hésite à le retirer tant qu'il est près de moi. Il m'a bien dit qu'il ne s'était pas nourri depuis au moins deux jours. Ce serait triste d'être arrivée jusqu'ici pour finalement terminer en plat de résistance pas vrai ?
- N'ai pas peur. Je ne suis plus un nouveau né. Je peux rester plusieurs jours sans rien avaler. Si ça peut te rassurer, il y a des poches de sang dans le frigo au cas où.
Je me crispe instantanément.
- Comment tu... tu lis dans les pensées ?
- Peut-être... mais ton langage corporel parle de lui-même.
Il s'approche lentement de moi, mais je ne peux retenir un mouvement de recul.
- Tu saignes. Il faut s'occuper de ça.
Il lève les mains en l'air dans un signe d'apaisement. Mon cœur s'affole. En une seconde, il comble le vide qui nous sépare et commence à défaire le pansement. Un gémissement s'échappe de ma bouche. Il se penche vers moi et touche presque mon oreille avec ses lèvres.
- N'aies pas peur.
Et brusquement, toute ma tension se relâche d'un coup. Je manque de m'effondrer dans ses bras mais il me soulève de la chaise de la cuisine et me dépose doucement sur le canapé.
- Ne bouge pas, je vais chercher ce qu'il faut.
De toute façon, tu es incapable de lever le petit doigt. Je me rends compte que c'est vrai. Battre les cils me demande un effort surhumain. Je suis comme hypnotisée. Lorsqu'il revient, j'essaye de lui demander ce qui m'arrive, mais je ne peux pas plus remuer les lèvres que le reste de mon corps. Il porte une trousse de secours qu'il dépose sur la table basse devant moi.
- J'ai besoin que tu te tiennes tranquille. Si je dois refaire les points de suture, je ne veux pas que tu gigotes.
Il s'assoit à côté de moi, tout près, trop près à mon goût. Arrête, il est encore plus beau d'ici, et en plus, il va te toucher. J'ai envie de fermer très fort les yeux pour ne plus le voir. Il soulève tout doucement le pansement. Ça tire, mais c'est supportable. J'ai l'impression qu'il m'a également anesthésiée. Je l'entends distinctement déglutir lorsque je sens un liquide tiède couler le long de ma joue. Ses pupilles se dilatent. Je crois un instant qu'il va lécher le sang qui s'échappe de ma plaie, mais non. Mais je suppose qu'il en avait très envie et qu'il s'est retenu. Il prend un coton dans sa caisse et tamponne ma peau avec. Le soulagement doit se lire dans mes yeux car il s'autorise un sourire. Je note tout de même qu'il reste crispé aux commissures de ses lèvres et qu'il n'atteint pas ses yeux. Il peut me raconter ce qu'il veut. Il faut croire que du sang reste du sang pour un vampire.
- Un point a sauté. Je vais te refaire ça. Ça ira vite.
Il fouille dans la trousse et en sort une aiguille et un fil spécial qu'il passe dans le chat sans effort. Pas comme toi. Je sais. Je suis nulle en couture. Au moment où il lève la main vers moi, un mouvement dans mon champ de vision capte mon attention. Je distingue quelqu'un à la porte d'une des pièces plongées dans le noir. La forme jaillit soudain de l'ombre et se jette vers nous, mais Dimitri est plus rapide. Il saisit l'autre vampire par les cheveux et le plaque violemment au sol. Une espèce de feulement s'échappe de sa bouche et il dévoile les crocs. Ses mots claquent comme des fouets dans le silence de la pièce.
- Je t'interdis de la toucher. Tu as compris ? Contrôles-toi ou c'est la rue !
C'est une femme. La chevelure que tient Dimitri fermement est longue et rousse. Elle me rappelle les cheveux de Mélodie. Mélodie... Pourquoi ai-je cette sensation horrible d'oppression qui monte dans ma poitrine ? Pourquoi ai-je soudain une irrépressible envie de hurler ?
Lorsque le vampire la force à se relever en tirant dessus, mes yeux s'écarquillent d'horreur. Le contrôle que Dimitri exerce sur moi disparait instantanément et je reste comme une imbécile à fixer la créature. Ma voix s'étrangle dans ma gorge lorsque je prononce son nom.