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Voici un guest post de Nell du blog Nelissage, une informaticienne qui blogue par passion sur le cheveu.
Le défrisage et le blanchiment de la peau sont des pratiques très répandues chez la diaspora noire où qu'elle réside sur le globe. La sociologue martiniquaise Juliette Sméralda a voulu mieux comprendre ces phénomènes caractéristiques.
Ainsi le 15 février 2015 dans le cadre de AfricaParis au Carreau du Temple à Paris, cette dernière a tenu une conférence pour nous exposer sa démarche.
Elle s'est interrogée sur la façon dont les Africains coiffaient leurs cheveux et prenaient soin de leur peau avant l'esclavage et la colonisation.
Cet axe offre un éclairage permettant de mieux appréhender les pratiques esthétiques du peuple le plus grand consommateur au monde de cosmétiques à ce jour.
Un temps incompatible avec la notion de rentabilité capitaliste était associé à cette pratique. Certaines coiffures étaient si complexes qu'il est aujourd'hui impossible de les reproduire. Les Africains rivalisaient d'ingéniosité lors de concours pour magnifier ces chevelures révélatrices de l'âge, du clan et du statut social de la personne. La coiffure au masculin était développée. Ces pratiques étaient séculaires.
Cet art hors du temps s'est perdu.
Humilié, avilisé, complexé, ce dernier va chercher à tout prix à s'intégrer, s'adapter, se faire accepter.
L'esclavage a notamment privé le peuple noir des outils nécessaires à l'entretien de ses cheveux (dont le fameux peigne Afro si précieux qu'il était même interdit de troc).
Les domestiques noires vont observer avec attention les pratiques de leurs maîtresses. Tous les stratagèmes vont être déployés et répandus pour que la chevelure negroïde s'adapte aux peignes fins dédiés initialement à la chevelure caucasoïde (seuls outils mis à la disposition des esclaves). Les sources de chaleurs donnent naissance au défrisage à chaud. Le défrisage à froid est ensuite mis au point pour venir à bout beaucoup plus durablement de la texture crépue.
Les domestiques noires observent les (dangereuses) techniques de leur maîtresses blanches pour entretenir un teint de porcelaine (le peuple blanc évite peau hâlée synonyme de statut de travailleur). Aux " meilleurs " postes pour trouver l'inspiration, les esclaves noires vont mettre au point des techniques pour se blanchir à leur tour la peau.
Le métissage sera aussi un outil pour éclaircir " la race " par le sang (exemple la peau chappée aux Antilles, la peau qui a échappé à la malédiction noire).
Juliette Sméralda nous a procuré un fil conducteur permettant de comprendre ce besoin du peuple noir de se faire accepter.
Il fût un temps où le défrisage n'était pas le traitement de faveur du cheveu crépu.
Il fût un temps où la peau noire brillante était signe de beauté et réjouissance.
Comment expliquer ce que Juliette Sméralda qualifie d'aliénation du peuple noir ?
Par aliénation elle entend une vision de soi en dehors de soi. Pourquoi le peuple noir s'obstine à atteindre des canons de beauté extérieur à lui ? Pourquoi ne pas s'enraciner en soi ? Etre belle ou beau dans les canons de son groupe culturel ?
Chez le noir, l'estime de soi-même est basse car il a été moqué, dénigré, déshumanisé et dominé.
Un mouvement de revalorisation est nécessaire pour que le peuple noir s'accepte mieux lui-même. Il est important de s'adresser aux enfants noirs avec une approche positive.
La question de l'estime de soi est en filigrane de tous ces questionnements et travaux de recherche. Juliette Sméralda nous invite à avoir recours à l'échelle de Maslow pour souligner à quel point l'estime de soi compte dans nos vies.
Le peuple noir est le plus grand consommateur de cosmétiques sans doute parce qu'ils cherche à atteindre des canons de beauté qui ne lui correspondent pas. Il doit donc faire en permanence le grand écart pour s'adapter. C'est un gymnaste qui se met en tête de se transformer pour être accepté. Pour s'intégrer.
Cela fait aussi sans doute les avantages d'une certaine industrie.
La beauté et l'estime de soi du peuple noir ne peuvent être abordés en faisant abstraction de l'esclavage et de la colonisation.
Il faut s'intéresser à toutes les traces se rapportant à la façon dont les Africains prenaient soin d'eux avant les Temps Modernes. Ces ressources sont peu mises en lumière. Il faut redoubler d'effort pour les rechercher et y prêter attention.
Il est complexe de synthétiser cette riche conférence qui a duré plus de trois heures.
Juliette Smeralda nous a donné beaucoup à voir pour illustrer ses propos.
Nous avons pu découvrir ainsi :
- des photos de statuaire africaine révélant l'importance et la richesse de la coiffure
- des clichés du photographe nigérian Ojeikere dont certains avec du fil à coiffer où l'on donne au cheveu la forme qu'on veut
- des cheveux crépus sains, épais, brillants, magnifiquement agencés
- des rapports de chercheurs comme Mungo Park, Willie Morrow et bien d'autres
- un reportage sur une expérience révélant que les enfants noirs préfèrent les poupées blanches aux poupées noires (A Girl like me).
- de nombreuses dénominations de coiffures (car nommer c'est s'approprier)
- des termes positifs et péjoratifs en créole pour désigner les cheveux défrisés ou crépus
- des photos du salon de coiffure Chivé Naturel
Soucieuse de s'adresser aux plus jeunes, Juliette Sméralda a publié le livre :
La poupée d'Isis, 2012
Son ouvrage phare a été réactualisé :
Peau noire, cheveux crépu, L'histoire d'une aliénation, éditions JASOR, 2014
Pour prolonger, consultez le site de la sociologue : www.juliettesmeralda.com
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